Je crois qu'il est né dans une famille de merciers-bonnetiers de Guingamp, et a été baptisé et inscrit sur les registres d'état civil, comme Jean le Sauze.
Il s'en est accommodé jusqu'à l'adolescence, lorsque las d'être bombardé de boulettes de boue et insulté par les gamins de son quartier dans un langage qu'il ne comprenait pas (ses parents, notables reconnus parce qu'ils vendaient des corsets à toutes les épouses du conseil municipal, ayant toujours refusé de lui enseigner la "langue des oies"), il a enfin décidé d'apprendre le Breton. Il s'est alors trouvé un mentor dans la personne du Père Poho, vicaire de Sainte-Croix, bretonnant émérite mais dont la soutane sentait un peu.
Ayant appris que son nom de famille signifiait "L'Anglais", ce qui lui avait valu les jets de boue de sa jeunesse, il décida de renier dès ce jour ces origines saxonnes, certes très diluées ; et de parcourir le monde pour y répondre la bonne parole de la Celtitude renaissante.
Il fut alors confronté à un profond dilemne : ayant renié son patronyme, sous quel nom allait-il se faire connaître ?
Ce fut au Campbell's pub situé place Saint Michel, que son collègue de beuverie Dugald Macquarrie, très fier de son origine écossaise quoiqu'incapable d'éructer un simple mot de gaélique, lui trouva son nouveau surnom, fort peu républicain pour l'époque : Britanny Yann.
Jusqu'à son dernier jour, lorsque pendant une expédition dans le sud de l'Inde pour retrouver un document ancien tout en sanskrit, qui aurait dû confirmer le nombre exact de bras et de têtes de la déesse Kali, il tomba entre les mains des eunuques de Koovagam qui le sacrifièrent à leur dieu Koothandavar après des supplices que la morale m'interdit de décrire céans ; jusqu'à son dernier jour donc, il ignora que Dugald l'avait berné, et que "Brittany Yann" était bel et bien un sobriquet de type anglo-saxon, et non point celtique.
Son alcoolite Ifig Lak-e-Barzh, qui avait échappé au massacre par un audacieux mouvement de repli, put ramener dans les terres ancestrales ce qui restait du corps démembré de Yann ; aujourd'hui ces restes reposent dans l'allée 128 du cimetière de Guingamp, mais par erreur le fossoyeur, pinté plus que de coutume au Père Benoît, déposa lesdites reliques dans la tombe destinée à Sergueï Zvegintzoff, officier russe blanc mort la veille d'une cirrhose.
Si bien que Britanny Yann n'eût jamais de sépulture à son nom, ni à Guingamp ni ailleurs ; et moi je trouve cela bien triste.
Cependant, Michel Houellebecq nous raconte dans son ouvrage "Anaphrodisie", que les soirs de pleine lune à Guingamp, les épicières et femmes de notaire viennent se frotter le bas ventre sur la croix orthodoxe de Sergueï Zvegintzoff, espérant combler ainsi leurs ardeurs conjugales délaissées par leurs maris aigris par la crise covidienne (hé oui, le temps passe si vite !).